« C’est dans votre tête » est une phrase tristement célèbre qui revient régulièrement dans le parcours médical de nombreuses femmes souffrant de douleurs chroniques ou aiguës. Cette expression, souvent prononcée sur un ton paternaliste ou dédaigneux, traduit un biais sexiste profondément ancré dans notre système de santé. Elle illustre à quel point la douleur des femmes est trop souvent minimisée, voire totalement psychologisée, alors qu’elle peut correspondre à une souffrance physique réelle et intense. Ce phénomène, bien loin d’être anecdotique, représente un véritable enjeu de santé publique et un frein à une prise en charge médicale juste et efficace.
Depuis des décennies, des recherches ont mis en lumière la manière dont la parole des femmes est fréquemment remise en question par des professionnels de santé. Cette remise en cause se manifeste notamment par une tendance à attribuer leurs symptômes à des causes émotionnelles, hormonales ou psychologiques, plutôt qu’à des affections organiques. Cette attitude n’est pas sans conséquence : elle entraîne un retard de diagnostic, un traitement inadapté, et parfois l’aggravation de maladies graves. Au-delà de l’aspect médical, ce biais contribue aussi à renforcer des stéréotypes sexistes, en perpétuant l’idée que la douleur féminine serait moins légitime ou moins « réelle » que celle des hommes.
L’enjeu est donc double : il s’agit d’une injustice médicale, qui fragilise la santé des femmes, et d’une injustice sociale, qui limite leur reconnaissance et leur autonomie face à la douleur. Pourtant, les preuves scientifiques sont claires : les femmes ressentent la douleur différemment, avec une sensibilité parfois accrue, et certaines pathologies sont spécifiques ou plus fréquentes chez elles. Ignorer ces spécificités, c’est prendre le risque de laisser une partie importante de la population sans réponse adéquate à leurs souffrances.
Cet article propose d’explorer ce phénomène sous plusieurs angles. Nous verrons d’abord comment ce biais se manifeste dans la prise en charge médicale et pourquoi il conduit souvent à une minimisation injustifiée de la douleur féminine. Nous étudierons ensuite les racines sociales et culturelles de ces stéréotypes, avant d’aborder les conséquences concrètes sur la santé physique et psychologique des femmes. Enfin, nous évoquerons les initiatives en cours pour lutter contre ces biais, ainsi que des conseils pratiques pour aider les patientes à mieux faire entendre leur douleur.
« C’est dans votre tête » : un biais qui impacte la prise en charge médicale

Le réflexe de dire « C’est dans votre tête » à une femme qui se plaint de douleur est malheureusement plus qu’une simple phrase : c’est le reflet d’un biais sexiste profondément enraciné dans la prise en charge médicale. Ce biais consiste à minimiser, voire à nier la réalité physique des douleurs exprimées par les femmes, en les attribuant systématiquement à des causes psychologiques, émotionnelles, ou hormonales. Cette attitude conduit à des conséquences lourdes, comme un retard de diagnostic, une mauvaise orientation thérapeutique, et une aggravation des symptômes.
Prenons l’exemple des maladies cardiovasculaires, qui représentent la première cause de mortalité chez les femmes dans le monde. Pourtant, leurs symptômes sont souvent atypiques comparés à ceux des hommes. Alors que l’homme peut ressentir une douleur aiguë et localisée à la poitrine, la femme peut présenter des signes plus diffus : fatigue intense, nausées, douleurs dans le dos ou la mâchoire, essoufflement. Ces symptômes subtils sont fréquemment interprétés à tort comme des manifestations de stress ou d’angoisse. Cette erreur coûte cher : selon plusieurs études, les femmes victimes d’infarctus sont moins souvent hospitalisées en urgence et bénéficient moins de traitements invasifs que les hommes, ce qui impacte leur survie.
Un autre exemple frappant est celui de l’endométriose, une maladie chronique qui touche environ 1 femme sur 10 en âge de procréer. L’endométriose provoque des douleurs pelviennes très intenses, mais le diagnostic est souvent posé après une longue errance médicale de plusieurs années, parfois 7 à 10 ans. Pendant ce temps, les douleurs des patientes sont régulièrement attribuées à un trouble psychologique ou banalisées comme des douleurs « normales » liées aux règles. Cette attente injustifiée entraîne une souffrance prolongée et une dégradation de la qualité de vie, avec un impact important sur la santé physique et mentale.
La fibromyalgie illustre également ce biais : cette maladie caractérisée par des douleurs musculaires et articulaires diffuses touche majoritairement les femmes. Pourtant, elle est souvent considérée comme une affection « psychosomatique », ce qui contribue à marginaliser les patientes. Ce scepticisme entraîne parfois une absence de traitement efficace, aggravant la souffrance.
Ce biais ne se limite pas à ces pathologies. Dans de nombreuses autres situations, comme les migraines, la sclérose en plaques ou les troubles digestifs fonctionnels, la douleur féminine est trop souvent traitée par dessus la jambe, ou réduite à une dimension psychologique. Cette minimisation systématique a un impact direct sur la qualité des soins, la confiance dans la relation patient-médecin, et la santé globale des femmes.
Il est donc urgent de reconnaître et de combattre ces biais sexistes pour garantir une prise en charge médicale adaptée, respectueuse et efficace. La douleur n’est jamais « dans la tête » quand elle est vécue : elle mérite d’être prise au sérieux, évaluée avec rigueur, et traitée de manière personnalisée.
Les mécanismes sociaux et culturels derrière ce biais
Le phénomène du « c’est dans votre tête » ne se limite pas à une erreur médicale isolée : il est profondément ancré dans des mécanismes sociaux, culturels et historiques qui influencent la manière dont la douleur des femmes est perçue et prise en charge.
Historiquement, la médecine a été développée majoritairement par et pour les hommes, ce qui a contribué à définir des normes cliniques basées sur des corps masculins. Pendant longtemps, la douleur féminine a été considérée comme moins fiable ou moins « objective », en partie parce que les femmes étaient vues comme plus « émotionnelles » ou « fragiles ». Cette perception a été renforcée par des théories pseudo-scientifiques du passé, qui associaient la souffrance féminine à des troubles hystériques ou psychiques, comme en témoigne l’histoire de l’« hystérie », diagnostic très en vogue au XIXe siècle pour décrire les douleurs et troubles émotionnels des femmes.
Dans notre société, les stéréotypes de genre continuent à façonner la façon dont la douleur est validée ou rejetée. L’idée selon laquelle une femme serait plus sensible, moins résistante à la douleur, ou plus sujette à l’hypersensibilité émotionnelle contribue à ce que ses plaintes soient considérées comme exagérées ou imaginaires. En parallèle, la culture valorise souvent la résilience masculine et le silence face à la douleur, renforçant l’idée qu’un homme qui se plaint est forcément dans une situation grave, tandis qu’une femme qui se plaint est « trop émotive ».
Les médias, la famille, et même parfois le corps médical lui-même participent à cette construction sociale. Les femmes sont encouragées à minimiser leurs douleurs pour « ne pas déranger », ou à les expliquer par des causes psychologiques, comme le stress ou l’anxiété. Cette injonction sociale conduit à une forme d’auto-censure, où certaines patientes hésitent à exprimer pleinement leur souffrance, par peur de ne pas être crues.
Par ailleurs, la difficulté à prendre en compte la douleur chronique féminine est renforcée par un manque de recherche spécifique. Beaucoup d’études cliniques ont historiquement exclu les femmes, ce qui crée un vide scientifique sur la compréhension des différences de genre dans la douleur. Cette absence de données précises alimente encore la méconnaissance et le scepticisme médical.
Enfin, les inégalités sociales, économiques et culturelles viennent aggraver la situation : les femmes issues de milieux défavorisés ou appartenant à des minorités sont souvent encore plus exposées à la minimisation de leur douleur, en raison d’une double discrimination liée au genre et à leur statut social.
Comprendre ces mécanismes est essentiel pour déconstruire les idées reçues, sensibiliser les professionnels de santé, et bâtir un système médical plus équitable et attentif à la douleur féminine.
Conséquences dramatiques sur la santé des femmes
La minimisation et la psychologisation systématique de la douleur féminine, qu’elle soit douleur aiguë ou douleur chronique, ont des conséquences lourdes sur la santé physique, mentale et la qualité de vie des femmes. Ce biais impacte la gestion de la douleur, retarde le diagnostic et accroît le risque de complications.
Retards de diagnostic et aggravation des douleurs
De nombreuses études montrent un retard significatif de diagnostic pour des maladies douloureuses touchant majoritairement les femmes. Par exemple, l’endométriose, caractérisée par des douleurs pelviennes intenses, est diagnostiquée en moyenne après 7 à 10 ans d’attente, selon Ballard et al. (2006) Human Reproduction.
Pour les maladies cardiovasculaires, une revue publiée dans Circulation (Mosca et al., 2011) souligne que les femmes reçoivent souvent un diagnostic tardif d’infarctus car leurs symptômes atypiques sont attribués à des causes psychologiques. Ce biais contribue à une mortalité plus élevée chez les femmes.
Impact psychologique de la douleur non reconnue
La douleur chronique, mal prise en charge, favorise l’apparition de troubles psychologiques. Bair et al. (2003) dans Pain expliquent que 50 à 60 % des patients souffrant de douleur chronique développent des symptômes dépressifs ou anxieux (https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12892800/). Ce chiffre est accentué chez les femmes, souvent confrontées à un rejet ou une minimisation de leur douleur.
Coût socio-économique lié à la douleur féminine
Selon un rapport de l’INSERM sur l’endométriose (2017), cette maladie engendre un coût socio-économique de plusieurs milliards d’euros par an en France, lié aux arrêts de travail, consultations et traitements (https://www.inserm.fr/dossier/endometriose-maladie-sous-estimee).
Risques physiques et complications
Ignorer la douleur peut avoir des conséquences graves. Par exemple, un infarctus mal diagnostiqué à cause de douleurs thoraciques mal interprétées peut entraîner un décès prématuré (American Heart Association, 2019) (https://www.heart.org/en/news/2019/11/13/women-may-face-higher-risk-after-heart-attack). Par ailleurs, des douleurs chroniques non traitées, comme dans l’endométriose ou la fibromyalgie, peuvent évoluer vers des douleurs neuropathiques sévères (Clauw, 2014) (https://www.nature.com/articles/nrrheum.2014.44).
Témoignages de femmes : quand la douleur n’est pas entendue
Derrière les chiffres et les études, il y a des histoires humaines. De nombreuses femmes témoignent d’un même parcours : douleurs invalidantes, errance médicale, diagnostics tardifs ou erronés, et une souffrance souvent niée ou minimisée. Ces récits mettent en lumière le décalage entre la réalité vécue par les patientes et la réponse du système de santé.
« C’est dans votre tête » : un refrain trop souvent entendu
Julie, 34 ans, souffre de douleurs pelviennes intenses depuis ses 20 ans. Pendant plus de 8 ans, elle consulte différents spécialistes. Tous rejettent ses plaintes : « On m’a dit que j’étais stressée, trop sensible, que je somatisais. Un gynéco m’a même dit que j’étais « trop douillette »… » Ce n’est qu’à 29 ans que le diagnostic tombe : endométriose sévère.
Son témoignage fait écho à celui de milliers d’autres femmes. Selon l’association EndoFrance, le délai moyen de diagnostic de l’endométriose reste de 7 ans en France.
Une douleur qui isole et qui épuise
Sophie, 42 ans, souffre de fibromyalgie, une maladie caractérisée par une douleur diffuse persistante, associée à une grande fatigue. « Ce qui est le plus dur, ce n’est pas la douleur en soi, mais que personne ne la prenne au sérieux. On m’a prescrit des antidépresseurs sans même m’examiner. »
Ces récits montrent comment la douleur féminine, en particulier lorsqu’elle est invisible, est souvent renvoyée à une origine psychologique, sans exploration sérieuse. Une étude du Journal of Law, Medicine & Ethics souligne que les patientes souffrant de douleur chronique sont plus susceptibles que les hommes de recevoir des prescriptions psychotropes plutôt qu’une évaluation approfondie de leur douleur physique.
Une perte de confiance envers le corps médical
Ce manque d’écoute peut profondément affecter le lien de confiance avec les professionnels de santé. Nadia, 38 ans : « À force d’entendre que c’était dans ma tête, j’ai fini par le croire. J’ai attendu trop longtemps avant de consulter à nouveau. »
La douleur non reconnue peut mener à un découragement médical et à un renoncement aux soins. Cela crée un cercle vicieux : plus la douleur est négligée, plus elle s’aggrave, et plus la patiente est isolée dans sa souffrance. Or, la littérature médicale montre que l’écoute active et la reconnaissance de la douleur améliorent considérablement les chances de guérison ou de stabilisation .
Vers une meilleure reconnaissance de la douleur des femmes : quelles solutions ?
Face aux conséquences graves des biais sexistes dans la gestion de la douleur féminine, il devient indispensable d’agir. De nombreux rapports et chercheurs appellent à une transformation profonde de notre système de santé, pour assurer une prise en charge équitable de la douleur, fondée sur des données objectives, l’écoute et le respect.
1. Former les soignants aux spécificités de la douleur féminine
L’un des leviers majeurs est la formation initiale et continue des professionnels de santé. De nombreuses pathologies douloureuses touchant principalement les femmes – comme l’endométriose, la migraine, la fibromyalgie, ou le syndrome de l’intestin irritable – restent mal connues ou mal prises en compte dans les cursus médicaux classiques.
Un rapport de la Haute Autorité de Santé (HAS, 2022) souligne que ces maladies sont sous-représentées dans les études cliniques et que les médecins manquent d’outils pour comprendre la complexité de la douleur féminine. Une meilleure intégration de la dimension genrée de la douleur permettrait de réduire les erreurs de diagnostic et d’éviter la psychologisation abusive.
2. Inclure les femmes dans les études cliniques
Pendant des décennies, les essais cliniques ont été majoritairement menés sur des hommes. Les différences biologiques, hormonales et neurologiques n’étaient pas prises en compte. Cette invisibilisation a conduit à des traitements inadaptés pour les femmes, y compris pour les analgésiques, comme le montre une étude du British Journal of Anaesthesia (2021), soulignant que les femmes peuvent réagir différemment à certains traitements contre la douleur.
L’intégration systématique des femmes dans les essais, avec des analyses différenciées selon le sexe, est aujourd’hui une exigence défendue par des institutions comme la NIH (National Institutes of Health) aux États-Unis (NIH Policy on Sex as a Biological Variable).
3. Promouvoir une médecine centrée sur la patiente
La médecine centrée sur la personne invite à écouter activement le vécu de la patiente, à prendre en compte sa parole sans la minimiser, et à impliquer la personne dans ses choix de traitement. Cette approche est particulièrement efficace dans la prise en charge de la douleur chronique, comme le souligne une méta-analyse publiée dans Pain Management Nursing (Kroenke et al., 2021), qui montre une amélioration significative des résultats cliniques lorsque le patient est considéré comme un partenaire de soin (source).
Cela suppose aussi de reconnaître l’importance des approches complémentaires dans la gestion de la douleur, comme l’hypnose, la méditation de pleine conscience, ou les thérapies psychocorporelles, particulièrement efficaces pour les femmes vivant avec une douleur chronique invalidante.
4. Sensibiliser le grand public et briser les tabous
Enfin, il est essentiel de briser les tabous qui entourent certaines douleurs dites « féminines », souvent considérées comme normales ou inévitables. Les douleurs menstruelles, les douleurs pelviennes ou sexuelles ne doivent plus être minimisées sous prétexte qu’elles sont fréquentes. Fréquence n’est pas banalité.
Des campagnes d’information, des actions dans les écoles et les médias, et le soutien aux associations de patientes (comme EndoFrance, Fibromyalgie France, Collectif Inter-Hôpitaux) contribuent à faire évoluer les mentalités et à créer une pression positive sur les institutions de santé.
Conclusion : reconnaître la douleur des femmes, c’est déjà les soigner
Le simple fait d’entendre « C’est dans votre tête » a suffi à de nombreuses femmes pour perdre confiance en leur corps, en la médecine, parfois en elles-mêmes. Ces mots, trop souvent prononcés dans les cabinets de santé, sont le symptôme d’un biais de genre profondément enraciné, qui empêche une prise en charge juste et adaptée de la douleur féminine.
Reconnaître cette réalité, c’est déjà commencer à en guérir. Il est urgent que les institutions, les professionnels de santé, mais aussi la société tout entière, prennent conscience de l’impact de cette invisibilisation de la douleur. Car oui, les femmes souffrent, et cette souffrance est bien réelle.
Mais il existe des solutions. L’écoute, l’empathie, une meilleure formation médicale, des diagnostics précoces, l’inclusion dans les essais cliniques, et surtout, une prise en compte globale de la personne et de son vécu sont les clés d’une prise en charge respectueuse et efficace de la douleur, qu’elle soit chronique, pelvienne, nerveuse ou inflammatoire.
Si tu fais partie de celles qui ont entendu cette phrase destructrice, si tu te sens incomprise dans ta douleur, sache que tu n’es pas seule. Mon travail consiste justement à accompagner les femmes dans la reconnexion à leur corps, dans l’apaisement de leurs douleurs, et dans la reconstruction de leur confiance intérieure.
👉 Découvre mes accompagnements pour les femmes vivant avec une douleur chronique ou invisibilisée, incluant des ateliers, des journées immersives, et des séances d’hypnose en visio, pour enfin sortir du silence et prendre soin de toi, autrement.
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